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Le subjonctif futur dans la langue juridique espagnole actuelle
Mariette Meunier-Crespo
Le subjonctif futur, forme qui a disparu du système verbal espagnol actuel et qui survit dans les textes juridiques, embarrasse les grammairiens et les linguistes : il n'y a pas de critère décisif pour le distinguer de ses concurrents, le subjonctif présent, le subjonctif imparfait ou l'indicatif futur, trois formes habilitées à marquer en espagnol l'hypothèse dans le futur. On lui reconnaît des effets de sens spécifiques dont l'inconvénient est d'être disparates : le surcroît d'irréalité, la condescendance, le panache du style chevaleresque. Il manque un élément pour lier ce faisceau d'effets de sens tout particulièrement caractéristiques du subjonctif futur dans les textes du Siècle d'Or.
Le point de départ de ce travail est une analyse d'un corpus juridique actuel selon le point de vue guillaumien. Pourquoi un corpus juridique ? Parce que c'est dans ce type de textes que le subjonctif futur a fleuri dès les origines du castillan, et c'est le dernier domaine où il s'est réfugié, lorsqu'il est tombé en désuétude dans la langue courante et littéraire.
La comparaison de l'organisation des anciens textes juridiques et des textes actuels montre la présence de ce que nous appelons une syntaxe « in absentia ». En terme d'énonciation, dans une première syntaxe « in praesentia » l'énonciateur pose une hypothèse juridique, non pas de son propre chef, mais en tant que porte-parole d'un autre énonciateur, celui qui a réellement l'autorité requise pour faire suivre cette hypothèse d'effets de droit. Le roi en personne dit au seuil du texte : mando que...L'énoncé « in praesentia » acquiert par cette mise en perspective de deux voix, dont l'une se réfère à l'autre, une force illocutoire supérieure à celle que possèderait une syntaxe dépourvue de cette mise en perspective.
L'emploi du subjonctif futur correspond donc, dans les textes juridiques, à une particularité énonciative fondée sur un critère formel : la double syntaxe, tout le texte étant sous le regard du « mando que » initial.
L'étude du corpus juridique actuel montre que cette stratégie de renforcement de la force illocutoire du texte de loi est devenue intermittente et très minoritaire. La loi se passe formellement de cette polyphonie prescriptive, perçue comme une rhétorique surannée. Reste à savoir quelle nouvelle stratégie l'a remplacée.Editions du Centre d'Etudes Linguistiques de l'Université Jean Moulin - Lyon 3
Parution 1998